Archéologie à la rivière Romaine

Cette rivière aux eaux limpides et au débit puissant partage un long passé avec les collectivités humaines.

Depuis presque sept millénaires, la Romaine accueille des groupes venus de tous les azimuts, à qui elle offre des rivages accueillants et une nourriture abondante. Les archéologues ont repéré des lieux d’occupation grâce aux vestiges laissés par les gens de la préhistoire. Ces derniers ont parcouru les forêts et les berges de la rivière pour la chasse et la pêche, et ont laissé des traces d’activités spécialisées, comme la taille d’outils.

L’aménagement de la rivière et les travaux de construction du complexe hydroélectrique présentaient un enjeu pour la préservation de l’intégrité physique de ressources archéologiques connues et présumées. Afin de bien évaluer le potentiel archéologique des lieux, Hydro-Québec a commandé la réalisation d’un inventaire à grande échelle dans les zones offrant un potentiel de découverte préhistorique et historique. Les archéologues se sont rendus aux endroits qui avaient toutes les chances d’abriter des témoins tangibles (outils, foyers, etc.) et intangibles (savoirs, modes de vie, etc.) du passage des peuples de la rivière. Ils ont documenté l’état du tissu archéologique en place et étudié et interprété les vestiges dans le but d’enrichir notre mémoire collective.

Au fil du temps, la rivière Romaine a vu passer de nombreux visiteurs : chasseurs autochtones, explorateurs et missionnaires européens, puis arpenteurs et géologues l’ont parcourue et étudiée. C’est à l’orée du XXIe siècle qu’Hydro-Québec y a entrepris un projet hydroélectrique d’importance. La construction de quatre centrales, réparties sur près de 150 km de rivière, a transformé les paysages et les lieux fréquentés par diverses générations d’occupants.

L’aménagement du complexe de la Romaine a été précédé de recherches archéologiques sur le terrain qui ont grandement enrichi notre connaissance du territoire traversé par la rivière. Les résultats des fouilles confirment et alimentent les hypothèses relatives à l’identité et aux activités des personnes qui ont séjourné dans le bassin supérieur de la Romaine au cours des sept derniers millénaires. D’importantes découvertes ont été faites sur ces « peuples de la rivière »…

Survol aérien par drone d'un site de fouille.

Unaman-shipu, la rivière ocre

Les Innus appellent la rivière Romaine Unaman-shipu, ce qui signifie « rivière ocre » (unaman : ocre, peinture ; shipu : rivière). La rivière est source de légendes et de récits le long de son parcours.

Calme et accueillante sur ses premiers et derniers kilomètres, la Romaine est tumultueuse au milieu de son parcours.

Les puissants rapides de la Romaine près du site EkCw-004 (PK 263).

Survol d'une partie du territoire de la rivière Romaine1 minutes 24 secondes

Carte du territoire et des sites archéologiques abordés. Lieus d’occupation des peuples de la Romaine.
Carte du territoire et des sites archéologiques abordés.

Les périodes d'occupation du territoire de la rivière Romaine

Les familles innues

Depuis environ 2 500 ans.

Au cours des années d’interventions archéologique le long de la rivière Romaine, plusieurs lieux de campement ont été expertisés. Les campements de familles innues révèlent les activités quotidiennes de ce peuple.

Le peuple de l'ocre

Il y a près de sept mille ans.

Loin vers le nord, vivait le peuple de l’ocre. Les archéologues appellent ainsi ce peuple car, à un endroit situé à la tête d’un rapide sur la Romaine (site EkCw-004), des gens ont utilisé l’ocre dans l’accomplissement de rites et probablement d’autres activités. Pour souligner certains événements (fêtes, décès et autres), il leur arrivait de se colorer le visage avec de l’ocre jaune ou rouge.

Les artisans des canots

Il y a près de quatre mille ans.

D’autres vestiges témoignent du labeur des artisans des canots, qui ont fréquenté un lieu idéal pour la réparation ou la fabrication de canots d’écorce (site EiCw-002).

Les tailleurs de pierre

Il y a près de deux mille ans.

Le vaste site EdCt-001, plat et sans arbres, a accueilli les tailleurs de pierre, habiles dans la fabrication d’outils et de munitions de chasse. Des groupes de deux ou trois hommes y faisaient halte pour travailler principalement le quartz, mais aussi le chert de Minganie.

Le peuple du quartzite

À l’aube du Ier millénaire.

Le peuple du quartzite a consacré du temps à la taille d’une pierre particulière, aux reflets gris bleu, pour en faire des outils (site ElCw-008). Originaire de la fosse du Labrador, le quartzite se distingue des autres pierres par ses couleurs et sa texture soyeuse.

Le peuple de la terre cuite

Pendant la deuxième moitié du Ier millénaire.

Le peuple de la terre cuite s’est installé temporairement dans une aire peu étendue près de la rivière (site ElCw-005), le temps de se livrer à ses activités. Il y a façonné des objets en argile et a laissé sur place une multitude de tessons de vases, dont les motifs rappellent ceux des récipients d’inspiration huronne.

Le peuple de la fourrure

À la fin du XVIIIe siècle.

Beaucoup plus près de nous, le peuple de la fourrure a pratiqué le troc des fourrures avec les engagés des postes de traite qui « couraient en dérouine » dans le vaste territoire longeant la Romaine. Leurs échanges ont laissé de nombreuses traces d’activité autour d’un feu (site ElCw-009).

Selon le Centre national de ressources textuelles et lexicales, dans la langue bretonne, un drouin désigne un havresac et une drouine, un havresac contenant des outils que portaient les chaudronniers ambulants. Dans la traite des fourrures, les termes drouine ou dérouine semblent désigner le sac utilisé pour transporter le matériel de traite.

Le trappeur solitaire

Au XXe siècle.

Le trappeur solitaire a construit sa cabane au bord de la Romaine (site EgCt-001) en vue de chasser dans les environs pendant l’hiver.

Les habitués de la rivière

Louis Babel

Louis Babel

Né en Suisse en 1826, Louis Babel a été ordonné prêtre en 1851 chez les oblats de Marie-Immaculée, alors qu’il vivait à Ottawa. Il a été missionnaire auprès des Innus, puis des Algonquins. Ses nombreux déplacements l’ont mené jusqu’à la rivière Romaine. Il est mort en mars 1912 à Pointe-Bleue (Mashteuiatsh).

Si elle est belle dans le haut des terres, elle est bien loin de l’être proche de la mer où les sauvages ne se hasardent jamais de la suivre ; elle est trop turbulente et des portages trop difficiles.

Père Louis Babel, 1866, cité par Tremblay, 1977, p. 36

Louis Babel s’exprimait ainsi sur les facilités et les difficultés que présente le parcours des rives et des eaux de la Romaine en 1866.

Depuis ce temps, les aménagements du complexe hydroélectrique ont modifié la configuration de la rivière, mais le corridor étroit en amont de la Grande Chute (Hikaikapu) demeure encaissé. Bien que la portion entre la Grande Chute et l’embouchure soit navigable et utilisée pour certaines activités, on ne l’emprunte pas pour atteindre le cours supérieur de la rivière. Les voyageurs choisissent plutôt la rivière Saint-Jean, dont l’embouchure est située un peu à l’ouest dans le golfe du Saint-Laurent, et la rivière Jérôme. Ainsi, les voyageurs se rendent au lac Ternet, puis au lac Chevré et enfin au lac Charpenay, avant d’atteindre la Petite rivière Romaine. Vers le nord ou vers le sud, ce chemin est choisi depuis des millénaires.

Louis Babel vers 1890.
© Fonds J. E. Livernois Ltée - BAnQ Québec / J. E. Livernois Photo. Québec / P560,S2,D1,P44

Albert Peter Low

Albert Peter Low

Albert Peter Low est né à Montréal en 1861. D’origines allemande et anglaise, ses ancêtres se sont installés aux États-Unis, qu’ils ont quittés en 1783 pour le Canada avec la vague loyaliste. En 1882, Albert a été reçu bachelier en sciences appliquées à l’Université McGill, à Montréal. Il est entré au service de la Commission géologique du Canada en 1883.

Près de trente ans plus tard, en 1896, il a à son tour suivi ce trajet au cours d’une exploration dans le nord du Québec. Après avoir remonté l’Atikonak, au Labrador, il a portagé vers les sources de la rivière Romaine, qu’il a ensuite descendue jusqu’à la rivière Saint-Jean pour atteindre le golfe.

Albert Peter Low en 1897.
© Bibliothèque et Archives Canada / Topley Studio fonds / a214276

Mathieu Mestokosho

Mathieu Mestokosho

Mathieu Mestokosho n’a pas eu une enfance facile, ayant perdu ses parents alors qu’il était très jeune. Des aînés, il acquiert un savoir-faire qui repose sur l’endurance, l’adresse et la droiture. Il apprend à traquer les bêtes, à les dépecer après leur abattage et à les transporter jusqu’au campement.

En plus de ces gestes ancestraux qu’il respecte intégralement, il connaît la façon d’aménager un abri pour lui-même, le temps d’une nuit, ou pour sa famille, sur de plus longues périodes.

Il évoque les relations qu’il maintient avec sa parenté de Mingan ainsi qu’avec les Innus de Sept-Îles ou d’ailleurs. Il décrit en détail ses méthodes de chasse et de piégeage. À ce propos, il confie sa préférence pour les pièges de bois, car les pièges acier « sont très lourds à transporter sur de grandes distances » et « s’englacent plus rapidement que le bois ».

Sans l’intervention de l’anthropologue Serge Bouchard en 1970, il est fort probable que nous n’ayons rien connu de cet Innu exceptionnel qu’était Mathieu Mestokosho. Les entretiens de l’anthropologue avec le chasseur ont été traduits en français et publiés d’abord en 1977 par le ministère des Affaires culturelles du Québec, puis en 2004 aux Éditions Boréal sous le titre Récits de Mathieu Mestokosho, chasseur innu.

Mathieu Mestokosho, sa femme Marie-Madeleine et leurs trois fils (de gauche à droite) : Moïse, Pierre et Georges.
©Tous droits réservés. Bouchard, S. 2004. Récits de Mathieu Mestokosho, chasseur innu. Montréal, Les Éditions du Boréal. 194 p.

Pour qu’une roche chauffe très bien, il fallait la laisser refroidir. Ensuite on prenait le petit chien de chasse qui se tenait avec nous dans la tente et on traçait des lignes sur la roche avec les griffes du bout d’une patte de chien. Ensuite on rallumait le feu pour réchauffer la roche. Une fois redevenue très chaude, la roche éclatait le long des lignes que la patte du chien avait tracées. On frappait avec des bâtons sur ces lignes. Les Anciens enseignaient cela. Effectivement, la roche chauffait mieux que jamais.

Mathieu Mestokosho, extrait du livre de Serge Bouchard, 2004, p. 191

Ce recueil fascinant révèle un homme respectueux des traditions et un chasseur talentueux aimant parcourir les forêts, le plus souvent à la poursuite de hardes de caribous. Ses longues randonnées l’ont maintes fois mené jusqu’à la Romaine, qu’il connaissait par cœur. En suivant la rivière et ses portages, il a atteint le lac Brûlé, puis le lac Atikonak et s’est rendu très souvent, avec plusieurs familles d’«Indiens», selon ses mots, jusqu’à North West River, au Labrador. Grâce à ses talents de chasseur, suffisants pour assurer l’essentiel de sa subsistance, il n’avait recours que très rarement aux échanges dans les postes de traite, contrairement aux piégeurs dont les proies ne pouvaient répondre à tous leurs besoins.

Les trésors de la période historique

Voici quelques objets sélectionnés parmi les nombreux vestiges de la période historique trouvés par les archéologues.

Diaporama

Le contenu qui suit est un diaporama d’images sur : Les normes

  • Objets utilisés pour la pêche (de haut en bas) : hameçons de tailles diverses, bas de ligne, leurre-cuillère et plomb.
  • Cuillère.
  • Boucle de ceinture
  • Perles de verre colorées servant pour la décoration des objets usuels et de l’habillement.
  • De haut en bas : tête de hache, mèche, dé à coudre et limes.
  • Chapelet presque entier et deux grains, dont un – le vert – appartient à ce chapelet.