Le peuple de la terre cuite

C’est au fond d’une grande baie de la rivière Romaine que des groupes se sont installés temporairement pendant la seconde moitié du Ier millénaire de notre ère. Ils jugeaient cette baie avantageuse sur le plan géographique d’abord, car une terrasse plane surplombe la rivière. La vue peut s’étendre tout autour, vers l’amont et l’aval, notamment pour le repérage du gibier. Les voyageurs qui s’arrêtaient en ce lieu comptaient sur l’abondance du gibier dans les forêts et sur la générosité en poissons de la rivière. Ils ont séjourné sur cette terrasse haut perchée à différentes périodes de l’année. Suivant les siècles, ils ont creusé de grandes et petites fosses, allumé des feux et aménagé des aires de travail, formées de galets, pour préparer la nourriture, s’abriter, réparer les outils et traiter les fruits de la chasse.

Selon les résultats des recherches archéologiques, un groupe a séjourné sur la rive de la baie à deux reprises, il y a environ 600 ans. Ce groupe emportait dans ses déplacements des objets fragiles fabriqués selon une technologie inconnue en milieu boréal : des vases de terre cuite. Ces pratiques leur ont valu le nom de « peuple de la terre cuite ».

Site ElCw-005 avant l’orage et les bourrasques. Une archéologue tamise les sols dans l’aire B du site du peuple de la terre cuite. Elle cherche à relever les traces, même infimes, des activités humaines qui s’y sont déroulées il y a plusieurs siècles.

Une halte pour travailler

Une partie du site ElCw-005 (aire A) a livré les fragments d’un premier vase, à proximité des vestiges d’un ancien feu de camp désigné comme le « foyer 5 ». Ce foyer modeste était constitué d’un peu de sable et de quelques galets. Il a été utilisé pour cuire de la nourriture, comme en témoignent les milliers de petits fragments d’os d’animaux, altérés par le feu, qui ont été prélevés dans le foyer et à proximité. Il est possible que le vase ait servi à cuire des aliments, peut-être un bouillon d’os, car une mince croûte de carbonisation recouvre la face intérieure des tessons.

Plan détaillé de l'aire A du site ElCw-005
Plan détaillé de l'aire A du site ElCw-005

Le foyer 5

L’analyse des aménagements

Plusieurs aménagements ont été répertoriés dans l’aire A du site ElCw-005, mais seul le foyer 5 comportait des tessons de céramique. Deux grandes fosses associées à deux petites ont été dégagées dans cette aire. La datation au radiocarbone révèle une utilisation de ces fosses vers 750 ans AA, soit près de 200 ans avant que le foyer soit allumé (530 ans AA).

L’affiliation culturelle de la céramique

Plusieurs voies de circulation tant le long de la côte du golfe qu’à l’intérieur des terres, permettent de rejoindre le secteur du site ElCw-005. La zone subarctique québécoise est traversée de réseaux hydrographiques qui lient les régions entre elles et qui favorisent le déplacement des gens et des idées.

Comment fabriquait-on des objets en terre cuite ?

Les vases étaient généralement fabriqués par des femmes, selon des techniques enseignées de mère en fille. Ce mode de fabrication exige des connaissances approfondies des propriétés de l’argile et de la réaction de cette matière à la chaleur.

Un autre groupe à la présence plus marquée

À environ 130 m au nord du foyer 5, une seconde aire d’activité (aire B) a livré de nombreux fragments de vases au cours d’une fouille menée durant l’été 2016. Les archéologues y ont dégagé les vestiges de deux feux de camp, dont un de grande dimension. Une petite fosse se trouvait en périphérie du plus grand feu.

Plan détaillé de l'aire B du site ElCw-005
Plan détaillé de l'aire B du site ElCw-005

L’analyse des tessons

Près de 4 000 fragments de vase ont été dégagés dans l’aire B du site du peuple de la terre cuite. Ils sont très petits, plus de 90% d’entre eux ayant une superficie inférieure à 1 cm2. Malgré cette très grande fragmentation, les archéologues ont pu rattacher les fragments à cinq vases. Tous ces vases présentent des attributs qui les associent à une production iroquoienne d’entre 1 100 et 1 600 de notre ère.

Rebord de vase à lèvre éversée, décoré d’obliques. L’ouverture dans la partie inférieure est un trou de réparation.

Une multitude de minuscules fragments

Les archéologues ont exploré plusieurs hypothèses pour expliquer l’extrême fragmentation des céramiques : faible maîtrise du modelage de la pâte au moment de l’ajout des inclusions, cuisson mal contrôlée, longue exposition des tessons à un sol acide, piétinement des tessons à la surface du sol et éclatement du vase exposé au feu. Toutes ces hypothèses ont été rejetées.

Rebuts de pâte marqués par une ligne de jonction sur la surface intérieure des tessons. L’un d’entre eux est percé d’un trou de réparation.

Occupation du site par le peuple de la terre cuite

Ce site d’envergure a été occupé à plusieurs reprises entre les années 600 et 900 de notre ère. La terrasse, située au fond d’une grande baie évasée, ne présente aucun obstacle à l’établissement de campements.