Une œuvre de taille

En septembre 1916, la construction du barrage Gouin commence. C’est un immense défi à relever pour l’époque. Il est comparable à ceux de la Manic ou de la Baie-James dans les années 1910. L’emplacement est éloigné, les équipements utilisés sont à la fine pointe de la technologie (de la période) et l’embauche de travailleurs est difficile en raison de la conscription dans le contexte de la Première Guerre mondiale et un effort de guerre dans les entreprises canadiennes. Le barrage est achevé en décembre 1917, un mois avant la date prévue. Au moment de sa mise en service, il est le plus important ouvrage de retenue jamais réalisé au Québec et est à la tête du plus grand réservoir au monde. Depuis, il est le gardien de la rivière Saint-Maurice.

Les constructeurs

La Commission des eaux courantes de Québec a le mandat de construire un barrage pour régulariser les eaux fougueuses de la rivière Saint-Maurice. À partir des informations fournies par la Saint-Maurice Hydraulic Company, filiale de la Shawinigan Water and Power Company spécialisée dans la construction, la Commission réalise les études d’avant-projet et effectue un appel de propositions. Dès qu’elle obtient le contrat en 1915, la Saint-Maurice Construction Company s’adjoint la Fraser Brace Company avec laquelle elle vient de terminer la construction de l’aménagement des Cèdres, en Montérégie. Plusieurs défis techniques les attendent.

Une construction en pleine forêt

Le principal défi que le constructeur doit relever est l’accès à l’emplacement du barrage. Trente et une barges parcourent sont utilisées pour circuler sur des dizaines de kilomètres sur la rivière jusqu’aux rapides de la Chaudière. En raison du trop grand nombre de rapides, la construction d’un chemin de fer de 30 km sur la rive s’impose dès l’automne 1915. Près de 900 hommes et 65 chevaux participent à l’installation des voies ferrées. Les locomotives fonctionnent à l’huile afin d’éviter les feux de forêt que pourraient causer les escarbilles. Un feu endommagerait en effet les matériaux de construction et pourrait même mettre en danger la vie des travailleurs sur le chantier.

Les campements

Avant la construction du barrage, des campements distinctifs pour les employés de la Commission des eaux courantes et pour les travailleurs de la Saint-Maurice Hydraulic Company sont aménagés de part et d’autre de la rivière Saint-Maurice. Sur la rive droite, un village temporaire est bâti pour accueillir un maximum de 560 personnes. En juillet 1917, 463 personnes travaillent sur le chantier. Les travailleurs non spécialisés gagnent 20&nvsp;¢ de l’heure et sont logés et nourris.

La Première Guerre mondiale s’invite sur le chantier

La Première Guerre mondiale s’échelonne de 1914 à 1918. Le Canada entre en guerre en même temps que la Grande-Bretagne et fournit l’effort de guerre pour soutenir les alliés. Cet effort comprend la fourniture de matériaux, mais également le travail d’ouvriers. Le chantier du barrage Gouin, en cours de 1915 à 1917, fait face à une pénurie de main-d’œuvre. La Saint-Maurice Construction Company embauche alors de nouveaux arrivants qui ne peuvent aller au front en raison de leur citoyenneté. Lorsque la pénurie s’aggrave encore, l’entreprise fait appel à des prisonniers pour travailler sur le chantier.

Des équipements de pointe

Une des grandes innovations du chantier du barrage Gouin est la ligne téléphonique de 80 km. Cette ligne, qui relie le chantier au terminal de Sanmaur, permet de ne pas être coupé du reste de la région en raison de son éloignement. La Commission peut dorénavant communiquer en tout temps avec le chantier et transmettre ses directives.

Pour répondre aux besoins en électricité, une centrale hydroélectrique est construite sur les rapides de La Loutre, quelques 5 km en aval du site. Deux groupes turbines-alternateurs de 350 kW à axe horizontal sont installés pour alimenter les équipements du chantier comme le concasseur, la bétonnière, les appareils d’atelier, les pompes et les dispositifs d’éclairage et de chauffage des bâtiments. Ces groupes turbines-alternateurs sont exposés à la NAC .

La géologie impliquée

La fondation du barrage Gouin repose sur du gneiss laurentien. Cette roche du bouclier canadien est vieille de 1 milliard à 1,7 milliard d’années. En raison de la solidité et de la stabilité de la fondation, il a été déterminé en 1915 qu’il n’y avait pas de risque d’infiltration d’eau par le roc.

Un béton cyclopéen

En 1913, on opte pour un barrage de type béton-gravité à la lumière des études réalisées. Compte tenu de l’éloignement du site, le concepteur favorise l’emploi du béton cyclopéen, soit un béton dans lequel on incorpore des roches. Ce type de béton est populaire à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, car il permet de réduire l’utilisation du ciment, élément coûteux à l’époque. Cette solution semble judicieuse pour le projet de barrage Gouin, car le ciment doit être importé de la région de la Montréal.

Le barrage Gouin et sa passe à billes de bois
Une gaffe, outil qui permet aux draveurs de déplacer les billes de bois.

Les passes à billes de bois

Jusqu’en 1958, le barrage Gouin est muni d’un système de flottage du bois qui joue un rôle important dans les années 1910, mais qui est tombé en désuétude depuis. La rivière Saint-Maurice est, jusqu’en 1996, le principal moyen de transport des billes jusqu’aux papetières. En effet, pour aider le transfert du bois et pour éviter de l’endommager par des chutes, on construit des passes à billes à même les aménagements hydroélectriques pour maintenir les activités de flottage du bois. Pendant plus de 40 ans, la construction des barrages intègre ce moyen de faciliter le travail des draveurs. Très utilisées au cours du XXe siècle, les passes à billes deviennent inutiles lorsqu’entre en vigueur l’interdiction du flottage du bois sur les rivières québécoises. Ce sont maintenant des camions qui transportent les billes.

L’importance de l’évacuateur de crues

En 1958, plutôt qu’un déversoir, un évacuateur de crues est aménagé. Grâce à ses quatre passes évacuatrices profondes, il permet la gestion et la maîtrise des eaux en période de crue, ce qui est plus efficace et flexible que le fonctionnement d’un déversoir. Ce dernier permet d’empêcher le dépassement des niveaux d’exploitation sécuritaires pour l’ouvrage et le public.

Le couvert de glace permet d’éviter la formation d’embâcles de glace qui pourrait abîmer les aménagements.
La règle permet de surveiller l’épaisseur de la couverture de glace.

L’enjeu de la glace

Lors de la création d’un réservoir au Québec, les ingénieurs doivent impérativement tenir compte de la présence de la glace en hiver. En effet, lorsque l’eau du réservoir se transforme en glace, elle prend de l’expansion, ce qui crée de la pression sur les berges, mais également sur le barrage. Aussi, les plaques de glace qui se détachent au printemps peuvent, sous l’action du vent, provoquer des dommages. Le barrage doit donc être plus solide pour résister à l’hiver.

Photographie de Lomer Gouin provenant de l’album de photographies des parlementaires de 1916, Fonds Assemblée nationale du Québec,
photographe : Montminy et cie.

La toponymie du barrage

Le barrage Gouin a été achevé en décembre 1917, 26 jours avant la date limite contractuelle, et baptisé en 1919. On lui donne le nom de barrage Gouin en l’honneur de Lomer Gouin, alors premier ministre du Québec, qui a constitué la Commission des eaux courantes et lui a confié son premier mandat, soit de superviser le projet de maîtrise de la rivière Saint-Maurice.

Aujourd’hui, 100 ans plus tard, le barrage Gouin régularise toujours les eaux tumultueuses de la rivière. Ce gardien de la rivière Saint-Maurice mesure près de 500 mètres de long et jusqu’à 26 mètres de haut.